CHAPITRE VINGT-HUIT

Tu vois, c’est l’une des différences entre toi et moi, répliquai-je, furieuse. Je n’ai aucune envie de m’entendre avec eux. Alors, si je les énerve, je m’en fiche. Et tu sais quoi ? Je ne veux plus rien entendre à ce sujet. Au fait, tu as vu ça ?

— Quoi ? Le Corbeau Moqueur ?

— Non, les araignées.

Il parut surpris.

— Il y avait des araignées dans l’arbre ? Des vraies ?

— Ces derniers temps, j’ai du mal à distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas.

— En tout cas, je t’ai vu lancer une boule de feu aussi facilement qu’un ballon de plage. Tu n’avais pas l’air commode !

Son regard se posa sur mes mains tremblantes, et je me rendis compte qu’elles rougeoyaient toujours. J’inspirai à fond pour me calmer.

— Merci, Feu. Tu peux partir maintenant. Oh, attends. D’abord, fais fondre cette glace, s’il te plaît.

Je pointai les doigts sur les quelques mètres qui me séparaient de l’écurie. Alors, comme un joli petit lance-flammes, ils projetèrent des langues de feu, qui léchèrent joyeusement l’épaisse couche de glace, la réduisant à une espèce de bouillie brunâtre.

— Merci ! m’écriai-je quand elles s’éteignirent.

Je passai devant Stark, qui me dévisageait, bouche bée.

— Quoi ? J’en ai marre de risquer de me casser la figure à chaque pas !

— Tu es un sacré numéro, tu le sais ?

Il me fit ce sourire craquant dont il avait le secret et, sans crier gare, me prit dans ses bras et m’embrassa. Ce n’était pas un baiser de propriétaire, comme ceux d’Erik, mais plutôt un point d’interrogation, auquel je répondis par un franc point d’exclamation.

Evidemment, j’aurais dû le repousser. J’aurais bien aimé me justifier en disant que ses bras m’apparaissaient comme la seule échappatoire à ma peur et à ma nervosité.

La vérité était moins avouable. Je l’embrassai pour la seule et unique raison que j’en avais envie. Il me plaisait. Il me plaisait vraiment, vraiment beaucoup. Pourtant, je ne savais pas quelle place je pourrais lui donner dans ma vie, surtout si j’avais honte d’admettre mes sentiments en public. J’imaginais le scandale que ça causerait parmi mes amis. Sans parler de toutes les filles qu’il avait mordues, et de ce que j’ignorais encore…

Cette pensée me fit l’effet d’une douche froide, et je réussis à me détacher de lui. Je me précipitai dans le complexe sportif en regardant autour de moi d’un air coupable, affolée à l’idée que quelqu’un nous ait vus. Par chance, nous étions seuls.

Stark sur les talons, je me réfugiai dans la petite salle où l’on rangeait les arcs, les flèches, les cibles et le reste du matériel sportif utilisé dans le complexe, puis je fermai la porte et je me plantai à quelques pas de lui.

— Non. Tu ne bouges pas, dis-je quand il fît mine de s’approcher, un sourire aux lèvres. Il faut qu’on parle, et on ne va pas y arriver si tu ne te tiens pas à distance.

— Parce que tu ne peux pas me résister ?

— Oh, je t’en prie ! Je n’ai aucun mal à te résister, je ne suis pas une de tes admiratrices inconditionnelles.

— Mes admiratrices ?

— Oui, les nanas que tu mords et dont tu laves si bien le cerveau qu’elles n’ont plus qu’une chose à la bouche : « Stark, oh Stark ! Il est tellement canon ! » J’en ai plus que marre ! Au passage, si tu essaies un jour avec moi, j’appelle les éléments et, à nous six, on se fera un plaisir de t’apprendre les bonnes manières, tu peux me croire.

— Je n’essaierais jamais de te faire ça, mais ça ne veut pas dire que je n’aimerais pas goûter ton sang ; au contraire.

Il avait repris sa voix charmeuse et fait un pas vers moi.

— Non ! Je suis sérieuse. Reste où tu es !

— D’accord ! D’accord ! Qu’est-ce qui t’a fichu de mauvais poil comme ça ?

Je plissai les yeux.

— Je ne suis pas de mauvais poil ! Je ne sais pas si tu as remarqué, mais cet endroit est sur le point de sombrer dans le chaos, poussé par un démon et Neferet. Mes amis sont en danger, et moi aussi. Et, pour couronner le tout, voilà que je craque pour un type qui s’est tapé la moitié du campus !

— Tu es en train de tomber amoureuse de moi ?

— Oui ! Génial, non ? J’ai déjà un petit ami vampire et un petit ami humain, avec lequel j’ai imprimé. Comme dirait ma grand-mère, mon carnet de bal est complet.

— Je peux m occuper du vampire, proposa-t-il en caressant machinalement l’arc attaché dans son dos.

— Non, tu ne vas pas t’occuper de lui ! hurlai-je. Mets-toi bien ça dans le crâne : cet arc n’est pas la solution magique à tous tes problèmes. Tu ne dois jamais, jamais l’utiliser contre quelqu’un, humain ou vampire. Autrefois, tu le savais.

Son visage se ferma.

— Tu sais ce qui m’est arrivé. Je ne vais pas m’excuser de ce qui est désormais ma nature.

— Ta nature ? Tu parles de ta nature de gamin borné, ou de celle de tombeur à deux balles ?

— Je parle de moi ! s’emporta-t-il en tapant sa poitrine du poing. De ce que je suis maintenant.

— Tu ferais bien de m’écouter une bonne fois pour toutes, parce que je ne le répéterai pas. Reviens sur terre ! Nous avons tous un côté sombre en nous, et nous avons à faire un choix : soit lui céder, soit le combattre.

— Ce n’est pas pareil quand…

— Ce n’est pareil pour personne ! Certains n’ont qu’à choisir entre dormir et rater la première heure de cours, ou se bouger les fesses et aller à l’école. Pour d’autres, c’est plus dur : aller en cure de désintoxication et rester clean, ou laisser tomber et s’enfoncer. Pour toi, c’est

encore pire – tu peux te battre pour ton humanité ou devenir un monstre. Mais, dans tous les cas, c est un choix.

Nous nous affrontâmes du regard. Je ne savais pas quoi ajouter. Je ne pouvais pas prendre cette décision à sa place, pas plus, je le comprenais maintenant, que je ne pouvais continuer à le voir en cachette. S’il ne décidait pas de devenir le genre de garçon avec lequel je serais fière de m’afficher en public, le numéro qu’il me servait en privé ne m’intéressait pas. Et ça, il fallait qu’il le sache.

— Ce qui est arrivé hier soir n’arrivera plus. Pas comme ça.

Je m’étais vidée de toute ma colère ; ma voix s’était apaisée. Il n’y avait plus que l’écho triste de mes mots dans la petite pièce silencieuse.

— Comment peux-tu me dire ça après ce que tu viens de m’avouer ?

— Stark, j’essaie de t’expliquer que je préfère ne pas être avec toi que de devoir cacher notre relation.

— A cause de ce vampire, ton petit copain ?

— Non, à cause de toi. Je tiens à Erik. La dernière chose dont j’ai envie, c’est de lui faire du mal, mais ce serait stupide de rester avec lui, alors que je pense à toi, ou à qui que ce soit d’autre, par exemple à l’humain avec lequel j’ai imprimé. Ce que tu dois comprendre, c’est qu’Erik ne m’empêcherait pas d’être avec toi.

— Tu as vraiment des sentiments pour moi, hein ?

— Oui, mais je te jure que je ne sortirai pas avec toi si j’ai honte devant mes amis, si tu es horrible avec les autres et gentil avec moi seulement. Je vois bien qu’il

y a encore du bon en toi, mais, si tu ne te bats pas, l’obscurité finira par avoir le dessus, et je ne veux pas assister à ça.

Il détourna les yeux.

— Je m’en doutais, mais je ne pensais pas que ça me ferait autant souffrir de l’entendre. Je ne sais pas si j’arriverais à faire le bon choix. Quand tu es là, j’ai l’impression que oui. Tu es tellement forte, tellement bonne.

— Pas si bonne que ça. J’ai commis de grosses erreurs. Et, hélas, ce n’étaient sûrement pas les dernières. C’est toi qui as été fort hier soir, pas moi.

— Si, tu es bonne, insista-t-il en plongeant son regard dans le mien. Je le sens. Dans ton cœur, là où ça compte vraiment.

— Je l’espère ; j’essaie, en tout cas.

— Alors, rends-moi ce service, s’il te plaît.

Il s’approcha de moi. Il ne me toucha pas, mais ne détacha pas son regard du mien. Il mit un genou à terre et posa le poing sur son cœur.

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Je me mets à ton service. Tu ne t’es pas encore transformée, mais même les Fils d’Erebus t’appellent prêtresse. Or, depuis des millénaires, les combattants se donnent corps, cœur et âme à leur grande prêtresse et jurent de la protéger. J’ai beau n’être qu’un novice, je pense avoir fait mes preuves en tant que guerrier.

— Moi aussi, je ne suis qu’une novice, alors nous en sommes au même point, dis-je d’une voix tremblante, émue.

— Acceptez-vous mon serment, ma Dame ?

— Stark, as-tu vraiment conscience de ce que tu me proposes ?

Ce serment, qui liait souvent pour la vie, était encore plus difficile à briser qu’une Empreinte.

— Oui. Je choisis mon humanité. Alors, l’acceptes-tu ?

— Oui, Stark, je l’accepte. Et, au nom de Nyx, je te fais serviteur de la déesse et de moi-même, car me servir, c’est la servir.

L’air se mit à miroiter, et il y eut un éclair de lumière. Stark poussa un cri et se recroquevilla sur lui-même avant de tomber à mes pieds en gémissant.

Je m’agenouillai à côté de lui et le tirai par les épaules.

— Stark ! Que se passe-t-il ? Es-tu… ?

Il me regarda. Des larmes de joie coulaient sur son visage radieux. Soudain, je compris. Son croissant de lune s’était rempli, et deux flèches décorées de symboles écarlates complexes flamboyaient sur sa peau blanche.

— Oh, Stark !

J’effleurai le tatouage qui faisait de lui, pour toujours, un vampire adulte – le second vampire rouge de l’histoire.

— C’est magnifique ! soufflai-je.

— Je me suis transformé, n’est-ce pas ?

Je hochai la tête, bouleversée. Je me retrouvai dans ses bras, à l’embrasser, et nous rîmes et pleurâmes ensemble.

La sonnerie de la fin des cours nous fit sursauter. Il m’aida à me relever et, toujours souriant, essuya mes joues et les siennes. Je descendis de mon petit nuage

en prenant la mesure de toutes les répercussions qu’allait entraîner cette incroyable Transformation.

— Stark, lorsqu’un novice se transforme, il doit se soumettre à une sorte de rituel.

— Tu sais de quoi il s’agit ?

— Non, seuls les vampires sont au courant. Va voir Dragon Lankford, lui conseillai-je, prise d’une inspiration subite.

— Le maître d’armes ?

— Oui. Il est de notre côté. Dis-lui que c’est moi qui t’envoie, et que tu m’as prêté serment. Il saura quoi faire.

— D’accord.

— Mais personne ne doit se douter de ce qui t’est arrivé avant que tu ne trouves Dragon.

Je dénichai une casquette, que j’enfonçai sur son crâne, puis j’enroulai une serviette autour de son cou.

— Voilà, abaisse la visière. Tu devrais passer inaperçu, surtout par ce temps épouvantable.

— Et toi, que vas-tu faire ?

— Je vais organiser notre évasion. Dragon et sa femme sont dans le coup, tout comme Lenobia, le professeur d’équitation ; enfin, je crois. Alors, reviens dès que tu peux.

— Zœy, ne m’attends pas. Fiche le camp d’ici, pars aussi loin que possible.

— Et toi ?

— Je vais et viens à mon gré. Je te trouverai, ne t’inquiète pas. Mon corps ne sera pas tout le temps avec toi, mais tu possèdes mon cœur pour toujours. Je suis ton combattant, ne l’oublie pas. Je lui touchai la joue en souriant.

— Je ne l’oublierai jamais, promis. Je suis ta grande prêtresse, j’ai accepté ton serment, alors, toi aussi, tu possèdes mon cœur.

— On a intérêt à faire attention, tous les deux. Ce n’est pas évident, de se passer de son cœur… Je sais de quoi je parle, j’ai essayé.

— Mais c’est terminé maintenant.

— Oui, c’est terminé.

Il m’embrassa avec une telle douceur que j’en eus le souffle coupé. Puis il fit un pas en arrière, serra le poing sur son cœur et s’inclina solennellement.

— On se reverra vite, ma Dame.

— Sois prudent.

— Compte sur moi.

Sur ce, il m’adressa un sourire effronté et disparut. Je fermai les yeux, posai à mon tour le poing sur le cœur et baissai la tête.

— Nyx, je lui disais la vérité. Il possède mon cœur. Je ne sais pas où ça va me mener, mais je vous demande de veiller sur mon combattant et je vous remercie de lui avoir donné le courage de prendre la bonne décision.

La déesse ne m’apparut pas. Néanmoins j’eus la certitude que j’avais été entendue, et je n’en demandais pas plus. « Protégez-le… Renforcez-le…, la suppliai-je. Oh, et si vous pouvez me donner une petite indication de ce que je dois faire, je suis preneuse. »

[La Maison de la Nuit 05] Traquée
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